Les temps forts historiques

De 1893 à 2020

Que d’évolutions, de rebondissements et de souvenirs au cours de l’histoire des arènes, de l’inauguration officielle en 1893 à nos jours !

Le jeudi 3 mai 1894, c’est le landais Pierre Cazenabe, surnommé « Felix Robert » qui se présente en novillada. Il deviendra le premier matador de toros français de l’histoire, en prenant l’alternative à Valence le 18 novembre, des mains d’El Gallo.

L’année 1908 voit la création de la première association de tauromaches locaux qui décident de fonder le « Taurin Club Bayonnais ». Felix Broca, commerçant chausseur sur les bords de Nive, figure locale et chanteur émérite en est élu président. Ce club sera pendant de longues années la conscience taurine de la ville, cultivant la bonne humeur, mais avec un grand respect de la doctrine. Il fonda même un journal « La cogida » qui fit son possible pour l’éducation du public des arènes.

Le 20 septembre 1908 se présente à Lachepaillet le légendaire maestro Rafael « El Gallo ».

Le 5 septembre 1909, un petit parisien en vacances découvre la tauromachie sur le ciment de la plaza. Le gamin de 13 ans est bouleversé par ce spectacle qui va hanter son œuvre future de grand écrivain : c’est le futur académicien Henri de Montherlant. Il a toujours reconnu que Bayonne avait décidé de sa vocation taurine.

La saison 1912 est marquée par les deux corridas triomphales du maestro Vicente Pastor, héroïque à chaque sortie.

En 1913, Bayonne fête longuement le premier titre de champion de France de son cher Aviron. Or, les amateurs de rugby sont aussi passionnés de tauromachie. Le 7 septembre se présente à Lachepaillet l’admirable mexicain Rodolfo Gaona, torero très complet, brillant avec cape, bandérilles et muleta. La dernière corrida, le 25 septembre est écourtée par le président après le cinquième combat, car la nuit est déjà tombée. C’est la bronca sur les gradins ; elle restera dans les mémoires car hélas l’année suivante la France et l’Europe sombrent dans la barbarie de la guerre.

L’incendie de 1919

Le 14 septembre 1919, c’est le retour des courses après le cauchemar et 5 ans sans corridas. Cette unique corrida de la saison sera historique. On embarque 6 toros portugais de Palha, à Villafranca de Xira dès le 2 septembre, afin qu’ils puissent se reposer du long voyage à l’arrivée. Malheureusement le convoi est longtemps bloqué sur la frontière hispano-portugaise ; puis une semaine plus tard à Valladolid en Castille. Ce voyage calvaire voit leur arrivée le matin même de la course à Hendaye. On dépêche à la hâte deux camions. C’est Félix Broca, président du Taurin Club qui sera au palco (présidence). Le cirque est comble à 17h et l’Harmonie s’époumone pour faire patienter le public, alors que circule la rumeur (justifiée) du retard des camions… à cause d’interminables formalités douanières en ce dimanche. Le premier véhicule apparaît sur la butte de Maledaille vers 17h30 et le paseo s’élance enfin, avec une heure de retard. Mais à 19h, il faut se rendre à l’évidence : le quatrième toro ne sortira pas, le second camion manquant à l’appel. La nuit tombe et la course est arrêtée faute de combattants, sous un vacarme rugissant. La foule frustrée jette en piste banquettes et chaises de loge et un feu protestataire est allumé au centre du ruedo. La colère gronde toujours et, alors que la majorité du public a quitté l’enceinte, quelques retardataires excités projettent le matériel en flamme sur les gradins du haut, en bois. Une demi-heure plus tard, Lachepaillet flambe. Le lendemain, il reste la base de ciment noircie d’une arène décapitée. Consternation.

L'année 1920 est marquée par la mort de Joselito à Talavera puis de Eugénie de Montijo  le 11 juillet à Madrid. Bayonne rouvre ses arènes le 5 septembre, réparées à la hâte et sans trop de frais.

En 1921, grâce à l'intervention d'Alfred Boulant, patron des casinos de Biarritz, on reconstruit la plaza, plus grande et en ciment jusqu'en haut, lui donnant l'aspect qu'elle conserve encore aujourd'hui et la temporada reprend son chemin, avec la présentation du maestro Juan Belmonte, en manque d'inspiration.

En 1922, c'est au tour de Marcial Lalanda de se présenter pour son premier paseo ici.

Le 2 septembre 1923, un grave accident marque l'afici6n bayonnaise. Il frappe un jeune Cubain aux racines basques, Carlos Aguirre,qui passe ses vacances au pays. Il va sur ses 23 ans et s'assoie à la barrera d'ombre no23. Il voulait voir Chicuelo qui est dans une grande saison et qui fut ce jour admirable. Avec lui en piste, il y avait Antonio Marquez, qui peine à tuer le cinquième toro, réfugié dans les planches après plusieurs pinchazos (piqûres). Le torero tente le descabello avec l'épée ordinaire, sans la garde actuelle,près de la pointe (la cruceta). L'acier plie et le frontal du toro fait levier. L'épée jaillit dans les gradins et transperce le cœur de Carlos Aguirre qui s'effondre, tué net.

En 1924, Bayonne inaugure son Musée Basque et la tradition  bayonnaise lequel, bien sûr, consacre une belle salle à la tauromachie.

En 1928, le monde taurin accueille avec résistance l'imposition du caparaçon, le matelas protégeant les chevaux de picadors,le fameux«  peta ». Cette innovation capitale va faire entrer la corrida dans la modernité.

En juillet 1932 naissent les Fêtes de Bayonne, qui vont immédiatement prendre une incroyable réputation et, après plus d'un demi-siècle d'interruption, Bayonne retrouve son antique tradition  de la course de vaches dans les rues, sur la place Saint André, dans le populaire quartier du Petit-Bayonne, confiné entre Nive et Adour. Ce fut d'entrée un succès fou.

1934 voit l'Union Tauromachique Bayonnaise prendre discrètement la suite du Taurin Club. La corrida des troisièmes Fêtes est médiocre, mais les Bayonnais en liesse sont trop heureux pour se fâcher: pour la deuxième fois l'Aviron est champion de France, en battant le Biarritz Olympique, voisin et ennemi héréditaire : le comble du bonheur !

En 1936, une chape de plomb tombe sur les Fêtes et les toreros ont le regard ailleurs, en pensant à l'Espagne qui plonge dans la guerre civile.

1937 voit se livrer une rude bataille pour la direction des Arènes. Le pharmacien Marcel Dangou s'associe au tout puissant empresario espagnol Eduardo Pagés, achète les arènes et commence à y organiser les spectacles taurins.

La corrida de clôture de la saison 1939 est fixée au dimanche 3 septembre, avec Juan Belmonte dans sa nouvelle vocation de rejoneador (torero à cheval). Mais à l'heure du paseo, la plaza est déserte, la France et l'Europe basculent dans l'horreur de la seconde guerre mondiale. Le peuple de Bayonne est massé quartier Saint Esprit, devant la gare, pour saluer les hommes qui partent pour le front dans la tristesse.

La seconde guerre mondiale et les occupants dans la plaza

Les autorités allemandes veulent découvrir la tauromachie et demandent d’organiser des courses : deux novilladas sont programmées les 17 et 18 juin 1941. Les troupes vertes et totalement ignares de l’art taurin remplissent totalement les gradins et montent même des batteries de mitrailleuses sur le toit. Dans une ambiance glaciale les novilleros gèrent ces spectacles sans peine ni gloire.

Après la libération, Lachepaillet ouvre ses portes la première, le 9 septembre 1945, pour célébrer l’unique corrida en France cette année-là. Comme en 1919. Après six ans d’interruption et de pénurie, il y a une grande envie de fêtes et de toros.

L’afición est bien vivante et le 23 août 1946 est fondé le Cercle Taurin Bayonnais qui désigne comme président une figure locale, Alexis Etchegoyen.

En 1947, Maledaille accueille sur son plateau deux toreros qui vont passionner les foules : la charmante torera cavalière péruvienne Conchita Cintrón et le maestro banderillero mexicain Carlos Arruza. Conchita mettait souvent pied à terre (s’était interdit de l’autre côté des Pyrénées) et poursuivait les faenasmuleta et épée en main, déclanchant le délire du public. Quant au « Cyclone de Mexico », il captivait le conclave par ses capacités physiques et son éblouissant sourire, en se livrant toujours à fond dans ses combats ; sa domination du toro impressionnait et il inventa le fameux et décrié desplante du « téléphone ». Sa présentation le 15 août 1947 fit chavirer la plaza, son style athlétique le faisant comparer par les bayonnais à l’admiré trois-quart centre Jean Dauger. Il coupe tous les trophées et dès lors tous ses passages à Bayonne se feront à guichets fermés (No hay billetes). Marcel Dangou est un organisateur comblé.

En 1950, la cuadrilla du Cercle Taurin refuse, lors de la becerrada annuelle du club, d’acquitter l’amende symbolique infligée à tout organisateur taurin en application de la loi Grammont. Cités à comparaître devant la justice, ils sont triomphalement acquittés par le juge de paix qui se fonde sur le principe que « le toro n’est pas un animal domestique ». Cet attendu ouvre la brèche qui conduit à l’amendement de 1951 normalisant enfin la corrida en France. Bayonne est une nouvelle fois à l’initiative du combat pour la défense des libertés tauromachiques au niveau hexagonal.

En septembre 1955, Bayonne découvre Antonio Chenel « Antoñete » qui triomphe d’un toro d’Urquijo, signant une œuvre majuscule à la muleta. Une longue histoire va s’écrire ici avec le maestro madrilène à la mèche blanche.

La saison 1959, marquée par la concurrence entre les deux « beaux-frères ennemis », Antonio Ordoñez et Luis Miguel Dominguín, attire du beau monde vers Lachepaillet : vedettes nombreuses, ministres, ambassadeurs, grande presse et Ernest Hemingway, Lauren Bacall, Domingo Ortega,…

En 1960, on découvre ici Paco Camino qui deviendra le torero chéri de la plaza pendant de longues temporadas. D’ailleurs l’année suivante, le 15 août 1961, il s’enferme en solo avec six toros et coupe sept oreilles et une queue !

On change de registre en 1963 avec l’irruption du torero de Palma del Río, l’incroyable Manuel Benítez « El Cordobés ». Il déclenche l’hystérie et la passion totale, à Bayonne comme partout. Un ouragan. Les billets s’arrachent à prix d’or pour le revoir en 1964, 65, 66, divisant toujours ses inconditionnels  et  les puristes.

Le 11 septembre 1966, Bayonne accueille pour la première fois en France (encore !) une corrida portugaise, avec ses valeureux forçados qui comblent l’importante colonie lusitanienne de la ville.

La temporada 1969, Marcel Dangou a le mérite de présenter en Aquitaine les deux lauréats de la vocation : Alain Montcouquiol « Nimeño » et Simon Casas, qui coupe trois oreilles le trois août, en pleines fêtes et fait taire les derniers incrédules : le phénomène des toreros français est une réalité. En 1973, ce sera le tour de « El Andaluz » et de « Nimeño II » de se présenter en novilladas sérieuses. Puis encore « Chinito » l’année suivante.

En 1975, l’afición de Bayonne en sommeil refleurit et une nouvelle société taurine voit le jour à Saint Esprit, la Peña Taurine Côte Basque, qui lance une grande campagne de promotion derrière son chef de file Claude Pelletier. La corrida retrouve une belle ambiance à Bayonne et de nombreux nouveaux spectateurs.

Le Cercle Taurin Bayonnais a de son côté la douleur de perdre son président Alexis Etchegoyen et resserre les rangs derrière son successeur Charly Forgues.

En août 1977, la plaza est endeuillée par la mort de son patron depuis plus de trente ans, Marcel Dangou. Le paseo du 15 août, mano a mano entre le vieillissant Camino et Nimeño II en pleine ascension, s’immobilise dans un silence de plomb pour la minute de recueillement.

Après quelques années en roue libre, le Cercle Taurin  Bayonnais, avec les conseils de la Peña Taurine Côte Basque, se charge de l’organisation dès la temporada 1981, avec pour objectif avoué de ramener le sérieux du toro à Lachepaillet.

La saison 1984 se conclue par un suberbe festival, unissant d’anciennes gloires, Aparicio, Litri, Manolo Vázquez, Camino, le récent triomphateur de Madrid Curro Durán et le premier novillero bayonnais Olivier Baratchart, qui coupe une oreille.

 Mais les nouvelles règles de sécurité pour l’accueil du public imposées par l’Europe pèsent trop lourd pour les héritiers de Dangou et 1985 marque un changement capital pour l’avenir des arènes de Bayonne : le rachat des lieux par la ville est acté et signé.

Le Maire de l’époque, le docteur Henri Grenet donne à l’édifice le nom de Marcel Dangou. L’organisation des spectacles taurins, après une période de transition sous la houlette du Cercle Taurin Bayonnais, devient municipale, avec la création d’une commission taurine extra-municipale, une régie dédiée et la création d’un poste de directeur. Par ailleurs, tel un zénith  d’été, la saison des concerts s’amplifie et occupe le mois de juillet.

Mais on la nomme toujours Maledaille ou Lachepaillet… ou Marcel Dangou… Partie intégrante du paysage culturel et patrimonial du Pays Basque, ce sont les Arènes de Bayonne.